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08 octobre 2020

L'intersubjectivité pure, un antidote à l'ipséisme cartésien

 

INTRODUCTION

L’homme, un être concret, pris dans sa totalité ontologique, constitue le centre d’intérêt de la philosophie de Gabriel Marcel. Philosophe, dramaturge et musicien français, représentant de l’existentialisme chrétien, G. Marcel s’attaque à la réflexion aristotélicienne d’après la traduction latine qui considère l’homme comme un animal social et se déclare un « néo-socratique » qu’un existentialiste. En célébrant aujourd’hui le 47ème anniversaire de sa mort, nous dédions cette cogitation à sa bravoure pour la pensée philosophique chrétienne.

En effet, l’intitulé de notre travail qu’est « Lintersubjectivité pure, un antidote à l’ipséisme cartésien » nous pousse à une réflexion approfondie de la philosophie existentielle de GABRIEL Honoré Marcel face aux fléaux qui rongent le monde aujourd’hui et plus particulièrement notre société congolaise au sein de laquelle l’homme semble être décentré au profit de l’avoir, d’un système économique qui tue. Voilà pourquoi, au cours de cette cogitation et grâce à nos investigations, nous tenterons d’appréhender avec lucidité la place que G. Marcel octroie à l’homme dans sa philosophie existentielle concrète, c’est-à-dire l’intersubjectivité pure que prône G. Marcel. Pour ce faire, outre la partie critique, trois points nous permettrons d’apporter à bon terme cette thématique entre autres : L’existence humaine ; L’homme, un être pour l’autre ; L’homme, un être libre et ouvert à l’autre et à son environnement.

I. L’existence humaine

GABRIEL H. Marcel, philosophe existentialiste s’est aligné dans le sillage des existentialistes tels que Karl Jaspers, Sören Kierkegaard, Jean-Paul Sartre, Blaise Pascal, etc. Eduqué au sein de sa famille au scepticisme, celui-ci ne cessa pourtant pas de penser et s’interroger sur l’être, sur la destinée, la foi et la prière. Bref, il est le premier penseur du XXème siècle à réfléchir sur son existence personnelle. D’où, il étend sa philosophie concrète sur l’existence humaine et s’oppose à la philosophie de Sartre tout en réfutant aussi l’ipséisme cartésien.

En effet, la pensée de G. Marcel est hantée par son temps, son expérience humaine, son époque déchirée par la dépersonnalisation de l’homme, la déstabilisation de la société par des guerres et des émeutes de tout genre en France. Par l’existence, il remarque que chacun se confirme dans un monde cassé, déchiré par la succession des guerres, des troubles à travers le monde, le primat de la machine gigantesque au détriment de l’homme. D’où, il trouve opportun pour le philosophe de redéfinir son rôle car, pour G. Marcel c’est la confusion qui est le plus grand mal de notre temps. Il remarque en outre un déséquilibre dans le chef des philosophes existentialistes ; ce qui lui pousse à proposer une mise en l’épreuve en vue d’éliminer le préjugé dogmatique comme l’affirme Marcel de CORTE «… s’il est vrai, d’autre part, ainsi que nous l’avons montré plus haut que cette valeur métaphysique de l’existence se trouve engagée, par le déséquilibre même des philosophies existentialistes, dans un contexte d’origine idéaliste qui en affaiblit le rayonnement, il convient de la soumettre à une épreuve d’où ce préjugé dogmatique serait rigoureusement éliminé »[1].

Par ailleurs, la préoccupation primordiale de la philosophie de G. Marcel est la transcendance de l’homme qu’il développe par l’existence humaine qu’il considère comme étant dans la ligne d’une connaissance subjective possible car renchérit Marcel de CORTE que « la philosophie existentialiste aura donc tendance à considérer l’existence humaine comme l’unique objet de son enquête métaphysique, à la cloîtrer en quelque sorte en dehors des réalités du monde qui l’entourent et qui seront réservées à un autre genre de connaissance, radicalement hétérogène : la connaissance scientifique »[2]. La philosophie marcellienne comme le reste de la philosophie existentielle est axée sur l’ego existentiel[3] qui s’oppose au cogito cartésien qu’il taxe d’être enfermé sur lui-même et isolé du monde extérieur. Voilà pourquoi G. Marcel suppose que le cogito cartésien nie l’existence humaine car par son affirmation de l’homme étant une pensée, implique la négation de son existence or « lorsque je dis : j’existe, je ne veux pas dire simplement comme dit Descartes je suis, mais je vise obscurément ce fait que je ne suis pas seulement pour moi, mais que je me manifeste, il faudrait mieux dire que je suis manifeste… »[4]. Sans doute, G. Marcel reconnait l’ego cartésien comme le point de départ vers l’ouverture à l’autre et la manifestation au monde car, renchérit Marcel que « mon existence vraie n’est donc pas ce à quoi je m’adonne pour me glorifier et me durcir, mais ce à quoi je me donne, pour me reprendre comme ego…je ne suis pas comme ego mon existence ni l’existence, mais en tant qu’ego sum je suis infiniment perméable à mon existence et à l’existence d’autrui…mon existence ne m’appartient pas , que je ne suis pas mon existence. Je ne suis existant par moi-même, mais par solidarité avec l’existence »[5].

Ainsi donc, cette affirmation marcellienne de l’existence humaine qui se manifeste non pas à elle-même mais aussi à l’autre nous permet d’aborder ce deuxième point qu’est l’homme, un être pour l’autre.

II. L’homme, un être pour l’autre

Par l’existence humaine que nous venons de décortiquer ci-haut, nous avons découvert combien G. Marcel relève l’homme à sa place c’est-à-dire vouloir de l’homme comme un être authentique et concret. S’opposant à Descartes qui isole l’homme des autres êtres par son « cogito », un être idéaliste, G. Marcel ouvre une nouvelle ère en prônant l’existence concrète de l’homme ; l’homme qui est en lien de réciprocité avec l’autre ou avec soi-même. D’où, ce deuxième point nous permettra d’élucider cette altérité que G. Marcel assigne à l’homme, l’intersubjectivité pure.

En effet, cette relation est une intersubjectivité que G. Marcel aborde dans sa philosophie pour que l’homme recouvre sa place première qu’est l’existence concrète, qui le manifeste à l’autre car, renchérit G. Marcel que « …J’existe, cela veut dire : j’ai de quoi me faire connaître ou reconnaître soit par autrui, soit par moi-même, en tant que j’affecte pour moi une altérité d’emprunt »[6]. Ceci prouve l’ouverture de l’homme à toute situation, comme G. Marcel l’affirme avec la situation de l’enfant qui vient présenter le bouquet de fleurs à sa maman. Ce dernier attend justement de sa maman une attention toute particulière qui lui assignera des mérites car « l’enfant se désigne ainsi, il s’offre à l’autre pour recevoir de lui un certain tribut » [7]. Ainsi donc, cette expérience enfantine, cet émerveillement de l’enfant de reconnaître ses propres mérites montrent combien G. Marcel amorce un nouveau paradigme qu’est l’homme qui se reconnait en référence de l’autre s’opposant ainsi à l’ipséisme cartésien qui isole l’homme , en s’identifiant sur lui-même ; ce qu’il renchérit dans Homo Viator en montrant que  le besoin éperdu de confirmation de l’homme se fait par le dehors, par l’autre car « …c’est de l’autre et de lui seul qu’en fin de compte le moi le plus centré sur lui-même attend son investiture »[8].

D’où, si l’homme ne trouve pas l’occasion d’être un être pour l’autre, se recroqueville sur lui-même et tombe dans une autoréférentialité que G. Marcel fustige et qualifie « d’enfermement dans un petit sanctuaire privé où il se retrouve seul avec son idole de soi-même »[9]. Pour ce faire, suite à cette intersubjectivité accomplie par l’homme, G. Marcel assigne à l’homme aussi le sens de la responsabilité dans l’auto-affirmation mais, qui ne peut être effective que si et seulement si  l’homme  assume devant lui-même et devant l’autre ses actes car « je m’affirme comme personne(homme) dans la mesure où j’assume la responsabilité de ce que je fais et de ce que je dis… je le suis conjointement devant moi-même et devant autrui… » [10].

Voilà donc avec ce terme de l’auto-affirmation qui se couronne par la prise de responsabilité annonçant la liberté que G. Marcel offre à l’homme dans son faire et son dire que nous bouclons ce point pour ouvrir celui de l’homme bien que libre, reste toujours et déjà en relation avec l’autre, toujours ouvert à l’autre et au monde dans lequel il se manifeste par son corps.

III. L’homme, un être libre et ouvert à l’autre

Après avoir accordé à l’homme l’expérience de l’intersubjectivité, c’est-à-dire le considérant comme un être pour l’autre qui ne s’affirme devant lui-même et devant l’autre qu’en étant responsable ; G. Marcel assigne aussi à l’homme la disposition de la liberté qui conduit à l’ouverture à l’autre et à l’être absolu qu’est Dieu. Cette liberté qui pousse l’homme de nier ou au contraire de reconnaître[11].

En effet, G. Marcel reconnait à l’homme un être libre mais qui est confronté devant une deuxième expression qu’est la grâce qui lui vient de la part de Dieu et qui le limite tout en le mettant en relation avec cet être Absolu. Pour ce faire, après ses analyses, G. Marcel découvre que la liberté est une caractéristique importante de l’homme qui lui permet de se reconnaître ou de se nier. Et cette décision d’auto-affirmation ne peut être contrainte par personne d’autre comme l’affirme G. Marcel « ce qui me paraît ressortir très nettement des analyses qui précèdent, c’est que ma liberté n’est pas et ne peut être quelque chose que je constate, mais bien quelque chose dont je décide, et dont je décide même sans appel. Il n’est au pouvoir de personne de récuser le décret par lequel j’affirme ma liberté, et cette affirmation est liée en dernière instance à la conscience que j’ai de moi-même »[12].

Certes, l’homme découvre sa liberté qu’en ayant conscience de lui-même, ainsi renchérit G. Marcel en montrant que cette liberté bien que rattachée à l’homme, cette dernière dépend effectivement de ce que les autres reconnaissent de l’homme. D’où, G. Marcel en paraphrasant Karl Jaspers affirme que « nous prenons conscience de notre liberté, écrit fortement Jaspers dans son initiation à la philosophie (pp61-62) lorsque nous reconnaissons ce que d’autres attendent de nous »[13]. D’où, constate G. Marcel qu’il est difficile, bien qu’on soit libre, de croire qu’on est seul comme le cogito cartésien idéaliste et isolé car « … dire : je suis libre, c’est dire :je suis moi. Or, cette dernière affirmation ou bien se réduit à une identité : moi=moi…je ne suis pas moi-même, car je me comporte en automate… » [14]. Ainsi, par la liberté, l’homme s’ouvre à l’autre, crée une intersubjectivité avec l’autre pour être prêt à accueillir ce qu’il peut apporter de positif en dépit de toute modification de sa position. C’est pourquoi, au nom de la liberté qui permet à l’homme à manifester sa réciprocité, G. Marcel condamne avec force le fanatisme qu’il qualifie de l’ennemi né de la liberté[15]  par le fait que « non seulement il la supprime chez celui qu’il habite, mais encore il tend à créer autour de lui une zone désertique, un no man’sland »[16].

IV. Appréciation critique

Il est évident d’apprécier de manière objective cette réflexion philosophie de G. Marcel qui redonne à l’homme son sens ontologique comme être concret. G. Marcel met au centre de sa philosophie concrète l’existence humaine. Pour G. Marcel, l’existence humaine est ce qui permet à l’homme d’apparaître, d’être présent aux autres de se révéler à l’autre et au monde, d’émerger. G. Marcel assigne à l’homme la capacité d’intersubjectivité par le fait que tout homme vit en relation avec le monde, avec soi-même, avec l’autre mais aussi il accède à Dieu par la foi à travers le recueillement. Ainsi donc, il réfute avec fermeté et force le cogito cartésien qui n’est qu’un être renfermé sur lui-même et qu’il oppose ipso facto à l’existence concrète de l’homme que Marcel de CORTE qualifie d’ego existentiel et qui est le véritable être de transcendance mais dont le mystère dépasse.

Néanmoins, il n’en déplaise de constater que cette réflexion philosophique concrète de G. Marcel soit entachée d’insuffisance et nous pousse à la considérer d’incomplète et d’inachevée car son objet est foncièrement historique, une philosophie engagée dans la vie elle-même souligne de sa part DE CORTE Marcel. Nous remarquons que G. Marcel s’exprime plus en fonction et selon les besoins de son époque : la mort de sa chère épouse qui a bouleversé sa vie, la conversion au catholicisme, les guerres, etc. Il est porteur de son histoire. D’où, sa critique sur le monde technocratique, l’avoir possession, le cogito cartésien. Sans doute il a raison car l’avoir à son époque comme notre temps détruit l’élément fondamental de la relation et de la communication intersubjective, la technoscience qui décentre l’homme au dépend de la machine gigantesque, l’égocentrisme qui renferme l’homme sur lui-même. Mais, il a tort en ce qu’il a l’air de dénigrer la technique, comme s’il s’agissait de chose à déplorer en soi ; pour l’avoir possession qui pourvoit à l’homme à ses besoins et enfin de substituer le cogito cartésien simplement en égocentrisme et pourtant est une auto-affirmation, le courage d’être[17].

Par ailleurs, la philosophie concrète de G. Marcel reste la seule ayant découvert l’étouffement de l’homme dans le monde contemporain écrasé par une rationalisation intensive affirme Marcel de CORTE dans la philosophie de Gabriel Marcel. D’où, le questionnement sur l’homme conduit G. Marcel à l’existence humaine qui fait de l’homme un être concret et ouvert à l’autre, au monde et à Dieu.

CONCLUSION

Au terme de notre recherche sur l’intersubjectivité pure, antidote à l’ipséisme cartésien, nous attestons que GABRIEL Honoré Marcel octroie à l’homme une existence qui le rend présent à l’autre, fait de lui un être pour l’autre et enfin G. Marcel considère l’homme comme un être libre mais toujours et déjà ouvert à l’autre dans l intersubjectivité pure qui est un antidote à l’ipséisme cartésien, car affirme G. Marcel par cet extrait paulinien « Vous n’êtes point à vous-mêmes ». Nous disons donc que l’homme est la joie pour l’homme ainsi que pour le monde qui l’entoure, son environnement et contre toute théorie qualifiant l’homme d’un loup pour l’homme.

Frère Adolphe Aganze, ofm


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Frère Adolphe Aganze, ofm








[1]M.DE CORTE, La philosophie de Gabriel Marcel, p.82.

[2] DE CORTE, La philosophie de Gabriel Marcel, p.82.

[3] Cfr.DE CORTE, La philosophie de Gabriel Marcel, p.83.

[4] G.MARCEL, Mystère de l’être I. le repère existentiel, éd. Association Présence de Gabriel Marcel, Paris, 1997, p.106.

[5] DE CORTE, La philosophie de Gabriel Marcel, p.95.

[6] MARCEL, Mystère et l’autre II, p.106.

[7] G.MARCEL, Homo Viator : Prolégomènes à une métaphysique de l’espérance, éd. Association Présence de Gabriel Marcel, Paris, 1998, p.16.

[8] MARCEL, Homo Viator, p.20.

[9] MARCEL, Homo Viator, p.21.

[10] MARCEL, Homo Viator, p.24.

[11] MARCEL, Mystère de l’être, p.110.

[12] MARCEL, Mystère de l’être, p.114.

[13] MARCEL, Mystère de l’être, p.114.

[14] MARCEL, Mystère de l’être, p.115.

[15]Cfr. MARCEL, Mystère de l’être, p.116.

[16] MARCEL, Mystère de l’être, p.116.

[17] P.TILLICH, Le courage d’être, éd. Casterman, Paris, 1967, p.9.



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