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23 décembre 2020

Lettre de Noël des Ministres généraux franciscains. L’espérance est audace !

 


Réf. N. 015/2020                                                                              Assise, le 25 décembre 2020

 

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ;

et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi.

(Is 9, 1)

 L’espérance est audace !

 Très chers frères et sœurs de toute la famille franciscaine,

 Que le Seigneur vous donne sa paix ! 

La luminosité et la musicalité sont deux composantes du vocabulaire de Noël. Thomas de Celano, en racontant Noël à Greccio, parle d’une nuit qui « s’illumine comme le jour et qui fut délicieuse aux hommes ainsi qu’aux animaux ». Dans cette nuit, « arrive la population et, devant ce nouveau mystère, elle se réjouit de joies nouvelles. La forêt retentit de voix et les roches répondent aux cris de jubilation. Les frères chantent, s’acquittent des louanges dues au Seigneur et toute la nuit résonne de jubilation » (1C 85).

En tant que représentants de la grande famille franciscaine internationale, alors que nous apercevons déjà la Lumière qui vient d’en haut, nous vous proposons, en langage musical, une réflexion sur la belle sonorité de l’encyclique Fratelli tutti [= FT]. 

1. En notation musicale

1.1. Une nouvelle partition

Nous sommes vers la fin de l’Avent, et Noël est déjà à l’horizon ! Il reste quelques jours avant la fin de 2020, mais nous pouvons déjà dire dès maintenant que ce fut une année très spéciale. Il semble que nous ayons vécu ces derniers mois des expériences qui suffiraient à une décennie entière. Le virus, les changements politiques, les protestations dans de nombreux pays, les tensions, les guerres, le mépris, le gaspillage, le chaos de l’information – nous avons expérimenté que le monde est devenu plus sombre et plus fermé, grâce aux différents confinements (FT 9-55). Et précisément à ce moment historique nous avons reçu du pape François l’encyclique Fratelli tutti, dans laquelle il partage le désir d’avoir le courage de rêver, d’aspirer à une famille humaine unie, à une étreinte globale entre sœurs et frères, « enfants de cette même terre qui nous abrite tous » (FT 8).

Le pape introduit Fratelli tutti par une référence spécifique à l’amour fraternel vécu et promu par frère François. Il s’agit d’un amour envers les proches et les lointains, un amour même envers les créatures du Seigneur, mais d’abord envers « ceux qui étaient de sa propre chair » (FT 2), et parmi eux les pauvres et les derniers. Le Saint-Père rappelle également le sens profond de la visite historique et humble de frère François au sultan Malik-al-Kamil en Égypte. Le poverello d’Assise l’a rencontré en tant que frère, en tant que personne qui a un « cœur sans limites, capable de franchir les distances liées à l’origine, à la nationalité, à la couleur ou à la religion » (FT 3). Le pape François avoue que saint François lui-même est un grand communicateur de l’amour de Dieu et « un père fécond qui a réveillé le rêve d’une société fraternelle » (FT 4). Voilà la principale motivation qui l’a poussé à écrire la nouvelle encyclique.

À plus forte raison, elle devrait devenir une motivation pour nous aussi, membres de la famille franciscaine ! Nous, ministres généraux de la famille franciscaine, étions à Assise, le 3 octobre, au tombeau de saint François, pendant que le pape François célébrait la sainte messe et signait sa lettre ! Nous avons pu saluer le Saint-Père au nom de vous tous. Nous voulons voir, dans cette opportunité que la Providence nous a donnée, une invitation spéciale adressée à toute la famille, et avant tout à nous, ministres. C’est une invitation à prendre Fratelli tutti et ses indications au sérieux, comme un don et une tâche que le pape nous offre en cette année 2020, comme une motivation qui vient de saint François à travers le pape François, comme une nouvelle partition à apprendre et à performer dans la grande œuvre de l’histoire. 

1.2. Diverses notes dans l’accord de l’espérance

            Le pape François est réaliste et n’hésite pas à appeler les choses par leur nom. Analysant la situation dans laquelle se trouve le monde d’aujourd’hui (FT 9-55), il parle des « ombres épaisses qu’il ne faut pas ignorer » (FT 54). Mais il ne s’arrête pas là. Quelle réponse donne-t-il à ces souffrances que toute l’humanité éprouve ? L’espérance ! Qu’est-ce que l’espérance ? C’est quelque chose qui nous parle « d’une soif, d’une aspiration, d’un désir de plénitude, de vie réussie, d’une volonté de toucher ce qui est grand, ce qui remplit le cœur et élève l’esprit vers les grandes choses, comme la vérité, la bonté et la beauté, la justice et l’amour ». C’est une réalité qui « est audace, et qui sait regarder au-delà du confort personnel, des petites sécurités et des compensations qui rétrécissent l’horizon, pour s’ouvrir à de grands idéaux qui rendent la vie plus belle et plus digne » (FT 55).

            Mais d’où vient l’espérance ? La réponse spontanée est probablement la suivante : elle vient de Dieu. Il en est vraiment ainsi. La source de l’espérance et de la joie est Dieu et son évangile. Le pape François l’a déjà rappelé dans Evangelii Gaudium, lorsqu’il a souligné que la vraie joie naît de la relation entre Dieu et l’homme, entre le chrétien et Jésus-Christ (Evangelii Gaudium 1-8). Voilà la première note de l’accord de l’espérance : se découvrir comme enfants de Dieu et ses amis.

La base de toute action, toute solidarité et toute amitié sociale se trouve dans cette découverte, car si nous sommes enfants du même Père, cela signifie que nous vivons entre frères et sœurs. On n’est pas indifférents devant le frère et la sœur. On nous le rappelle dans Fratelli tutti : on ne peut pas acquérir l’espérance en vivant seul, indépendamment des autres. Au contraire, on construit l’espérance ensemble, en se redécouvrant comme frères et sœurs. Voici la deuxième note de l’accord : découvrir que l’on n’est pas isolés, que les autres existent, que nous sommes tous liés et nécessaires les uns aux autres et « que personne ne se sauve seul » (FT 54).

Et puisque nous vivons sur cette planète et à ce moment précis de l’histoire, notre espérance concerne aussi notre maison : la terre. Dans Laudato si’ [= LS], après avoir « constaté qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune », le pape François nous invite à vivre dans l’espérance, car elle « nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes » (LS 61). La troisième note de l’espérance a donc le goût de l’eau fraîche, le parfum de l’air pur des bois incontaminés et le son de la forêt tropicale remplie par le chant de milliers d’oiseaux. Cette note complète l’accord de l’espérance, qui serait mutilé si l’une des trois notes manquait. 

2. En concert 

2.1. Les premières mesures : relation et rencontre

            L’encyclique Laudato si’ nous demandait quel monde et quelle planète nous voulons pour l’avenir. Fratelli tutti nous interpelle sur quelles relations nous voulons pour l’avenir. Les intuitions de Fratelli tutti nous invitent à découvrir et à nourrir l’espérance pour le monde dans lequel « tout est ouvert » (cf. FT 87-127). Elles posent certainement des questions sur notre identité, sur la mission, et par conséquent sur la formation. En déplaçant ces questions au sein de la famille franciscaine, nous pourrions nous demander : nous franciscaines et franciscains, quel monde franciscain, quelles valeurs, style et pensée voulons-nous transmettre à ceux qui viendront après nous ? Et surtout, quel genre de relations voulons-nous à l’intérieur de notre monde franciscain ? Et, enfin, voulons-nous que notre monde franciscain soit accessible et ouvert à tous ?

Laudato si’ disait que le monde est un réseau de relations (il faut rappeler que la « relation » est l’une des principales catégories franciscaines), où tout est lié (cf. LS 117). Fratelli tutti dit que ce réseau de relations se détériore malheureusement et que la menace est l’isolement ; mais elle propose aussi le remède et réaffirme que l’espérance se trouve dans la culture de la rencontre (cf. FT 30).

Comment créer la culture de la rencontre ? Le pape François rappelle que « tout changement a besoin de motivations et d’un chemin éducatif » (LS 15) et qu’il doit être organisé de manière à ce qu’on puisse puiser dans « le trésor de l’expérience spirituelle chrétienne » (LS 15) et, nous pouvons ajouter, même franciscaine. Nous reconnaissons donc la nécessité de prendre en considération, dans chacune de nos ratio formationis et de nos ratio studiorum, le thème d’une formation humaine, sociale et « environnementale » spécifique et claire, basée sur ces convictions du pape. Il semble nécessaire de se demander comment insérer une grande question sur la manière de favoriser la culture de la rencontre dans nos parcours de formation, car c’est la proximité qui sauve. Elle sauve non seulement l’homme, mais aussi sa maison, la terre. 

2.2. Les mesures précédentes : attention et dialogue

            Commentant la parabole du bon Samaritain, le pape François nous a rappelé que « nous sommes tous fort obnubilés par nos propres besoins » (FT 65) et que nous risquons donc d’être inclus dans la catégorie du prêtre et du lévite qui sont indifférents à « l’homme blessé, gisant sur le chemin, agressé » (FT 63). Pour mesurer notre niveau d’attention envers les autres, nous pouvons nous demander si le fait de « voir quelqu’un souffrir nous dérange, nous perturbe, parce que nous ne voulons pas perdre notre temps à régler les problèmes d’autrui » (FT 65). Un des souhaits à faire, et pas seulement pour cette période de Noël, est donc celui d’avoir plus de courage à assumer « le modèle du bon Samaritain » (FT 66) et « à raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social » (FT 66). En fait, « toute autre option conduit soit aux côtés des brigands, soit aux côtés de ceux qui passent outre sans compatir avec la souffrance du blessé gisant sur le chemin » (FT 67). Avec ce souhait, surgit une autre question : comment pouvons-nous être plus créatifs et ne pas nous abandonner à construire « une société d’exclusion », mais nous approprier « la fragilité des autres » (FT 67) ? Comment être plus attentif au prochain ? Comment pouvons-nous être encore plus audacieux en nous rapprochant des derniers ? (cf. FT 233-235).

Le pape François, en parlant de la source d’inspiration de son encyclique Laudato si’, il désigne, outre saint François, le « cher patriarche œcuménique Bartholomée » (LS 7). En parlant de la source d’inspiration de Fratelli tutti, il avoue avoir trouvé dans le grand imam Ahmad Al-Tayyeb un grand encouragement (cf. FT 29). Par cela, il offre un exemple concret et pertinent du dialogue que les chrétiens, à partir de leur identité inaliénable (cf. FT 3), sont appelés à rechercher « avec toutes les personnes de bonne volonté » (FT 6). En tant que frères et sœurs franciscains, nous sommes déjà impliqués dans ce dialogue à différents endroits et de différentes manières. Mais peut-être pouvons-nous nous demander comment augmenter les espaces de dialogue et de rencontre avec toutes les personnes, et surtout avec ceux qui ne partagent pas notre foi, mais qui vivent et travaillent souvent à nos côtés.

Saint François a laissé quelques indications pratiques – on peut commencer par une salutation : que le Seigneur te donne sa paix ! Pour saluer quelqu’un de cette manière, il faut d’abord le « voir ». Ensuite, une salutation, c’est l’ouverture du dialogue ! Rappelons, cependant, que la salutation de saint François s’adresse à tous, sans exception, dans la même mesure et avec la même bienveillance (cf. aussi FT 222-224) ! Dans chacun il reconnaissait une sœur ou un frère, et il savait que dans le cœur de Dieu il n’y a pas d’enfants de deuxième catégorie !

2.3. À l’école de musique  

            Nous avons reçu du pape François une nouvelle partition à apprendre. Le morceau semble être compliqué, mais nous savons que tous les morceaux semblent être compliqués au début. Note après note, mesure après mesure, nous arrivons petit à petit à acquérir la capacité d’une bonne performance. Le nouveau morceau raconte le rêve d’un monde ouvert, d’un monde où règne la rencontre et où de nouveaux modes de vie, de nouvelles façons de voir et de penser sont possibles. Nous aussi sommes responsables de la performance de ce morceau. Il faut donc créer des processus internes (par exemple, dans la formation) et externes (au service du monde), qui puissent aider à entrer dans la logique de la musique cachée dans la partition de Fratelli tutti.

            Où pouvons-nous apprendre les notes de ce nouveau morceau de musique ? Le temps de Noël nous vient en aide et nous invite à fréquenter une meilleure école de musique. Saint François atteste, en fait, que Noël est le meilleur moment pour s’entraîner effet : « en ce jour-là, le Seigneur envoya sa miséricorde et, de nuit, son cantique » (PsM 15, 5). Voilà qu’une rencontre a lieu à Bethléem. C’est Dieu lui-même qui contribue à la culture de la rencontre et se fait proche. Il établit un dialogue, d’abord sans paroles, tissé uniquement de regards. Cela devait être impressionnant et Marie de Nazareth l’a certainement fait : pour la première fois depuis la création du monde, regarder les yeux de Dieu ! À Noël, Dieu il nous offre Son visage car « personne ne peut expérimenter ce que vaut la vie sans des visages concrets à aimer » (FT 87). Il est le premier à enseigner comment vivre un style de vie prophétique et contemplatif, capable de se réjouir profondément sans être obsédé par la consommation.

            Voilà la source de notre identité. C’est là que nous apprenons ce que signifie s’approcher de ceux qui sont loin et totalement différents. C’est là que commence la formation : de la contemplation du visage de Jésus-Christ, emmailloté, embrassé par Marie et Joseph. C’est sur ce visage que nous pouvons lire que Dieu est amour (1Jn 4, 16), un Amour qui se donne pleinement et qui vient à notre rencontre, car il est conscient de notre besoin de salut. « Le très saint enfant bien-aimé nous a été donné et il naquit pour nous en chemin et fut posé dans une crèche » (PsM 15, 7). Cet enfant est la Parole par laquelle le Père renoue le dialogue avec l’humanité entière. Il est le Verbe qui, pour dialoguer, « s’est fait chair et a habité parmi nous » (Jn 1, 14).

Voilà où se trouve la source de l’espérance ! Elle est là où se trouvent Dieu et les frères et sœurs, en même temps. C’est Lui qui est venu et Il est venu habiter parmi nous.

Nous aussi, ministres généraux de la famille franciscaine, voulons contribuer à l’écriture de la nouvelle partition dans l’accord de l’espérance, de la relation, de la rencontre, de l’attention et du dialogue, à l’école de Dieu : « l’enfant de Bethléem » (1C 86). Nous le faisons, tous à l’unisson, en vous souhaitant, en ce Noël si spécial, d’avoir l’audace de vouloir entendre, toujours, partout, en toutes circonstances, avec chacun des frères et sœurs, le chant des anges qui proclament : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes – à tous les hommes – qu’Il aime ! » (Lc 2, 14).

 


 


Deborah Lockwood OSF                                         Tibor Kauser OFS
Présidente IFC-TOR
                                                Ministre général

 

 

Michael Anthony Perry OFM                                 Roberto Genuin OFM Cap
Ministre général                                                      Ministre général

 

Carlos Alberto Trovarelli OFM Conv                   Amando Trujillo Cano TOR
Ministre general                                                      Ministre général

Président en fonction de la

Conférence de la famille franciscaine

 

 


Image : Institution de la crèche, Greccio, Italie.


Source: https://ofm.org/blog/christmas-letter-from-the-franciscan-ministers-general-hope-is-bold/

 

           

 


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