De gauche à droite Frère Gustave Muderhwa, ofm et Frère Jean-Claude Mulekya, ofm |
La
leçon inaugurale était présentée par le professeur Jean-Claude Mulekya Kinombe,
ofm : Donner la vie en abondance pour un christianisme congolais crédible.
Au-delà des prétentions du christianisme exaltationiste, Paris, L’Harmattan,
2021.
La situation socio-politique, économique et les diverses crises en R.D. Congo montrent clairement que la mémoire congolaise est écrite par le ‘sang’. Elle est une mémoire douloureuse marquée, non seulement par la faim, la misère, l’analphabétisme, mais aussi par des massacres, des guerres à répétition, le viol, les crimes, les assassinats, le tribalisme, le profit d’une minorité, etc. bref, par la gestion irresponsable de la res publica et des prédications apolitiques. Le taux significatif de chômage, surtout parmi les jeunes, garantit que les écoles congolaises ne produisent que des jeunes diplômés, licenciés, pour gonfler le nombre des chômeurs. L’économie formelle du pays ne donne du travail qu’à une frange limitée de la population. Et, malheureusement, dans la plupart de cas, ce travail n’est pas bien rémunéré et par conséquent, il ne permet pas de sortir de la pauvreté. Le faible salaire ne met pas le travailleur dans la condition de donner le meilleur de lui-même. C’est la politique des intérêts privés, de guerres, de pillages, des massacres qui l’emporte. Pour cette forme politique, ceux qui exercent une fonction politique, l'exercent prioritairement pour en retirer certains avantages personnels et non pour proposer un véritable programme économique, politique et ou sociétal. C’est en peu de mots « la politique du ventre » qui règne.
Voilà
pourquoi, notre cogitation interroge non seulement les sources historiques du
pays et celles de la foi chrétienne pour comprendre la quintessence de la
souffrance, mais aussi pose l’urgence d’un christianisme sensible à la memoria
passionis, un christianisme donneur de la vie en abondance militant pour un
nouvel homme Congolais pour qui, l’appartenance au Christ n’implique pas la
négation du monde, mais la responsabilité envers lui en qualité de ‘serviteur’.
En effet, la réalité congolaise est un contraste ! Oui c’est un contraste en R.D. Congo ! Comment avoir tout dans un pays et manquer presque de tout ? L’on s’interroge sur le pourquoi de la pauvreté en R.D. Congo ! Un pays vachement riche en ressources humaines, naturelles, du sol et du sous-sol, mais dont le peuple est le plus pauvre de la planète ! Ses richesses ne sont qu’à la base de guerres, d’utopies, de violences perpétrées pour l’enrichissement d’une minorité !
Et
pourtant, c’est l’un des plus grands pays chrétiens du monde. Le désir de tout
réussir exclusivement par la prière engendre non seulement le goût d’une
réussite sans trop d’efforts qui est à la base de « ‘l’industrie des miracles’
en lieu et place de ‘l’industrie de la sueur de son front’ ». Pour des
congolais, la bénédiction de Dieu et le salut ne sont compris que sur le plan
matériel, terrestre et immédiat de la ‘prospérité’. C’est ainsi qu’en R.D.
Congo, les sectes poussent comme des champignons touchant toutes les
couches et les catégories sociales, de l’homme de la rue au politicien, du
professeur d’Universités passant par le militaire tous grades confondus. La
fréquence journalière et nocturne des églises ou des maisons de culte
s’observe. A Kinshasa, on peut rencontrer le père d’une famille fondateur d’une
église et le fils d’une autre. Ainsi, une certaine confusion se note entre
groupes de prière, mouvement à charisme propre, Églises dissidentes, Églises
indépendantes, entretenue par une multitude de prophètes de fortune, des
serviteurs de Dieu improvisés et des Binzambi-Nzambi de tout bord.
En outre, l’imaginaire collectif du congolais colle tout ce qui ne va pas au ‘démon’, à ‘l’esprit de mort’. Les malheurs sont souvent expliqués par l’action du démon, des forces occultes et des puissances maléfiques. On observe une sorte de superposition entre la figure biblique du démon et celle, plus traditionnelle, du sorcier. Les causes réelles des maux sociaux sont occultées au profit des causes métaphysiques, surnaturelles. La précarité des conditions socio-économiques, l’insatisfaction des besoins les plus élémentaires, conduisent un grand nombre de gens dans des ‘religions-miracles’ espérant aux résultats miraculeux. En manipulant les esprits de fidèles pour qu’ils offrent plus d’argent aux pasteurs, ces religions se présentent comme vecteurs d’enrichissement et de réussite sociale.
Face
à des prédications religieuses favorisant le suicide de la pensée,
l’anti-intellectualisme, l’émotionalisme et l’antipolitisme, le Congolais voit
finalement son calvaire comme une fatalité et s’appuie sur des slogans, devenus
les maîtres mots : « Kolo kaka, Kolo akosunga » (en français : « Dieu
seul nous délivrera »), « Dieu est au contrôle », et d’autres de ces
genres. Condamné à la résignation, déprimé, il se réfugie dans des prières en
végétant dans la misère et en se consolant par les chants et les danses espérant
au bonheur céleste. Entre-temps, certaines autorités se donnent au pillage ou à
la gestion irresponsable des deniers publics et personne n’est là pour des
reproches, n’est-ce pas là une déresponsabilisation !
Voilà pourquoi, le bouillonnement du christianisme congolais, sans peur de nous tromper, demeure une réalité apparente. Il cache sans doute le désaccord entre la foi professée et la foi vécue. Bien que les églises congolaises soient remplies, la société congolaise se caractérise aujourd’hui non seulement par trop de haines, de divisions, d’injustices, de violences, de guerres, de corruptions, de méchancetés, mais aussi par le manque de charité et de fraternité. Le slogan, « Pasi na yo, pasi na nga », (ta souffrance est aussi la mienne), n’y a plus de place. Le prochain est même accusé de sorcier, et par conséquent, il est écarté, méprisé et détruit. Le semblable est ainsi considéré non comme un frère, une sœur, mais comme un ‘loup’, porteur du ‘blocage’ de la vie des autres. D’où, « les personnes ne sont plus perçues comme une valeur fondamentale à respecter et à protéger ».
Ainsi
donc, face à la réalité paradoxale qui se vit en RDC, notre cogitation
théologique est à la recherche d’un christianisme donneur de la vie en
abondance (cf. Jn10, 10). La sensibilité vers l’autre qui souffre est une
nouvelle manière de vivre à la suite du Christ. Elle est l’expression plus
convaincante de l’amour que Jésus a confié à ses disciples et attend d’eux (cf.
Jn 13,34). C’est dans l’unité entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain que
s’inscrit le christianisme dans le monde. D’où l’urgence d’un christianisme
crédible en R.D. Congo qui donne la vie en abondance.
Face aux pensées de Heidegger de concevoir l’homme comme un « être-vers-la-mort », ou de Jean-Paul Sartre de l’homme comme « une passion inutile » ; le congolais, dans son muntuité, est « un-être-pour-la-vie ». Le franciscain Tempels l’a bien souligné que la vie a une valeur suprême dans l’univers du négro-africain. La vie constitue le Fondement, la Source, l'Origine, l'Archétype, le Principe primordial qui génère la réalité, à partir de laquelle tout a son origine et sa vie. Pour l’Africain, « la vie est une perpétuelle croissance qui ne finit pas, même pas avec la mort ». Le Pape Jean-Paul II l'a également affirmé dans son homélie pour l’ouverture au synode spéciale des Évêques africains en 1994 : « Les fils et les filles de l’Afrique aiment la vie. C'est précisément l'amour de la vie qui leur commande d'attacher une si grande importance à la vénération de leurs ancêtres ». Cette pensée ressort aussi dans l’article de François Kabasele et René Heyer : « Les Africains aiment et célèbrent la vie. Pour eux, la vie est le bien suprême, le don sacré par excellence de l’Au-delà̀. Au cours des péripéties atroces de leur histoire, beaucoup d’entre eux ont préféré́ demeurer dans une vie d’esclave plutôt que de se donner la mort, devant la négation de leur liberté́! On peut critiquer un tel amour de la vie. Mais c’est un choix qui répond à une conception du monde et de la vie partagée par la plupart des peuples d’Afrique noire subsaharienne ».
Cependant
la vie étant une donnée fondamentale pour les Congolais ; elle est à
protéger, à renforcer ou à donner en abondance. Il ne s’agit pas seulement de
la vie comme « bios », « psyché », mais comme
« zoè », la vie en abondance.
Voilà pourquoi, le christianisme congolais, prêchant l'Évangile, ne peut pas fermer les yeux aux forces qui mettent la vie à mort ; le christianisme congolais ne peut pas tourner le dos à tant d’hommes et de femmes qui vivent dans la misère, les massacres et l’exploitation, ni proclamer du haut de la chair que Dieu est vivant en se taisant sur les situations d’injustice en vogue ; il doit plutôt conscientiser le Congolais à prendre son histoire et son destin en main pour l’amélioration de la condition sociale, économique, religieuse à partir de l’Évangile du Christ Libérateur. Il s’agit là, d’une part de l’incarnation de l’Évangile dans des milieux des responsabilités où s’élaborent les dispositions politiques, économiques, sociales et culturelles du pays ; et d’autre part assumer chacun sa responsabilité.
Le
christianisme congolais a à œuvrer pour le Royaume de Dieu (Lc 6, 33)
s'engageant à annoncer la Parole de Vie, à dénoncer tout ce qui tue la vie, les
politiques injustes, toutes les spiritualités qui conduisent à la recherche de
« ‘l'industrie des miracles’ au lieu de ‘l'industrie de la sueur’» et enfin à
renoncer à toutes les tendances triomphalistes, renoncer aux cadeaux
empoisonnés. L’Église ne peut pas perdre de vue sa mission prophétique face aux
cadeaux et aux biens offerts par des gens au pouvoir. Dans la plupart de cas,
ces biens ne sont pas offerts par « gratis pro Deo » mais pour créer
une sorte de dette morale. Car, comment comprendre que dans un pays où la
quasi-totalité de la population vit dans la misère et qu’un homme au pouvoir
offre publiquement à un futur ministre de Dieu un véhicule de plus de 15.000
dollars américains ? L’on se demande si réellement cet acte relève
vraiment de la charité ou d’achat de la conscience ? Ce n’est qu’une dette
morale conduisant les hommes de Dieu à garder les bouches fermées devant les
forfaits du donateur ! De telles offres ne sont que des cadeaux
‘empoisonnés’, des actes de vente de conscience, d’achat du silence. Ce sont là
les intentions profondes de ces offres conduisant la population à taxer avec
raison les ministres de Dieu de complices de leur misère.
Le
christianisme congolais doit donc concilier le temporel et le spirituel pour
engendrer le christianisme du Christ, donneur de vie en abondance (cf. Jn 10,
10). C'est là que réside le défi actuel de l’évangélisation et de la théologie
aujourd'hui en R.D. Congo.
Pour
la crédibilité de la révélation chrétienne, la théologie est invitée à penser
et à repenser la foi chrétienne congolaise, non seulement de manière
métaphysique, parlant d'un salut lointain, déconnecté de l'histoire et de la
culture humaine, mais de manière pratique tenant compte du sujet qui vit sa foi
de manière concrète. Car, le discours sur Dieu touche et concerne les hommes
concrets, qui partagent les conditions concrètes, dans un monde concret, dans
lequel Dieu se fait pauvre avec le pauvre, affamé avec l’affamé, congolais
avec le congolais, africain avec l’africain.
Voilà
notre raison d’être étudiantes, étudiants et professeurs, philosophes et
théologiens congolais : Penser et repenser le christianisme congolais en
vue de le rendre crédible.
Frère
Jean-Claude Mulekya Kinombe, ofm
Félicitations au père Jean Claude.
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